DANS LES COULISSES DU LUXE : L’INTERVIEW DE VICTORIA JOB

Et parce qu’un regard ne se résume pas à un métier, Victoria nous confie quelques fragments de son univers personnel — ces détails qui nourrissent sa créativité et façonnent sa vision du beau.
1. Parcours & impulsion
Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours (études, débuts, agences) et ce qui vous a poussée vers une spécialisation dans les campagnes luxe / beauté ?
J’ai étudié la direction artistique à Penninghen, une école où l’exigence créative et la culture visuelle m’ont profondément marquée. Mon tout premier pas dans le monde professionnel s’est fait chez Dior, lors d’un stage qui a été une véritable révélation : plonger dans l’univers d’une maison iconique m’a immédiatement donné le goût du luxe et de son raffinement.
Par la suite, j’ai évolué au sein d’une agence parisienne spécialisée Publicis Luxe j’ai accompagné des marques de parfums, de maquillage et de skin care parmi les plus prestigieuses.
Ce qui m’a attirée et retenue dans cet univers, c’est la rencontre entre deux dimensions qui me passionnent : l’émotion et la rigueur. L’émotion, par le pouvoir narratif et esthétique du luxe ; et la rigueur, par l’ancrage scientifique et technique qui sous-tend particulièrement la beauté et le soin.
Dans le luxe, cette rigueur se traduit par un esthétisme poussé à l’extrême, où rien n’est jamais laissé au hasard : le rendu parfait d’une peau, la lumière sur un pack, un capot posé à côté d’un rouge à lèvres, la vague d’une texture en skin care… chaque angle, chaque détail raconte une histoire. C’est dans cette tension créative, entre émotion et précision absolue, que je trouve mon inspiration, et qui a orienté naturellement toute ma carrière.
2. Signature artistique / esthétique
Parmi les marques avec lesquelles vous avez travaillé (Hermès, Kilian, Prada, Lancôme, Clarins, etc.), y en a-t-il une collaboration qui reflète le mieux votre signature visuelle ? Pourquoi ce projet vous représente particulièrement ?
Si je devais choisir, je dirais que ma signature se reflète dans deux types de collaborations.
D’un côté, Kilian Paris, qui m’a permis d’explorer un univers onirique et théâtral. Chaque image devenait une véritable mise en scène sensorielle, jouant avec la lumière, les textures et le mystère. C’est là que s’exprime mon goût pour le rêve et l’imaginaire.
Et à l’opposé, j’attache beaucoup d’importance aux maisons que j’ai accompagnées dans la durée, comme L’Artisan Parfumeur ou Maria Galland. Avec elles, il ne s’agissait pas seulement de créer une campagne, mais de construire une identité visuelle cohérente et durable. Cet accompagnement m’a permis d’exprimer une esthétique plus intime, poétique et épurée, où le soin et l’authenticité guident la création.
Ces deux approches, le rêve spectaculaire et l’élégance sensible, définissent bien ma signature visuelle et mon rapport au luxe.
3. Création & process
Pouvez-vous décrire votre méthode / votre process de direction artistique : comment vous passez du brief à la création (inspiration, moodboard, itérations, visuel final) dans un environnement de luxe ?
Mon process créatif commence toujours par une immersion profonde dans l’univers de la marque : son histoire, ses codes, ses valeurs, mais aussi ses ambitions pour le projet. Dans le luxe, chaque détail compte, et la compréhension fine de l’ADN d’une maison est essentielle pour garantir une création juste.
À partir du brief, je développe des moodboards où je croise références artistiques, inspirations culturelles, tendances visuelles et éléments plus techniques. C’est une étape clé, car elle pose le ton esthétique et ouvre le dialogue avec l’équipe créative et la marque.
Vient ensuite la phase d’exploration visuelle : je multiplie les pistes, les angles et les itérations pour trouver l’équilibre parfait entre innovation et respect de l’identité. Dans le luxe, il s’agit moins de suivre une tendance que de trouver une singularité intemporelle.
Enfin, sur le visuel final mon objectif est toujours d’atteindre un rendu à la fois sensible et sophistiqué, où chaque élément raconte une histoire et s’inscrit dans un univers cohérent.
4. Exigences du luxe
Quel défi(s) particulier(s) avez-vous rencontré en travaillant pour une maison comme Hermès ou Kilian (par exemple) — que ce soit en matière d’identité de marque, de rigueur, de délai ou d’attente esthétique — et comment les avez-vous surmontés ?
Travailler avec une maison comme Hermès ou Kilian implique toujours un niveau d’exigence extrêmement élevé, que ce soit dans le respect de l’identité, le souci du détail ou la rigueur dans l’exécution.
Chez Hermès, le défi principal réside dans l’extrême précision attendue : chaque image doit être intemporelle et d’une justesse absolue. Cela demande une recherche pointue et une grande maîtrise des codes visuels, pour parvenir à une création qui soit à la fois fidèle à l’ADN de la maison et porteuse de modernité. J’ai surmonté ce défi en travaillant main dans la main avec les équipes, en affinant chaque détail : lumière, cadrage, matière … usqu’à atteindre cette justesse iconique.
Avec Kilian, le défi est d’une autre nature : c’est une maison plus audacieuse, qui attend des visuels puissants, théâtraux et immersifs, sans jamais tomber dans l’excès. L’enjeu est d’équilibrer le spectaculaire et l’élégance. J’ai répondu à cette attente en créant des univers visuels forts mais toujours portés par une sophistication et une cohérence artistique, pour que l’onirisme reste au service du luxe.
Dans les deux cas, la clé est la même : transformer la contrainte en une source d’inspiration créative. Les attentes très hautes ne sont pas un frein, mais une chance de viser l’excellence et de donner naissance à des images qui durent dans le temps.
5. Réalisations marquantes
Pouvez-vous nous parler d’une campagne ou d’un projet récent dont vous êtes particulièrement fière, pour l’une de ces maisons, et ce qui la rend exceptionnelle (impact, retour client, technique, créativité) ?
Un projet récent dont je suis particulièrement fière est mon travail pour Helena Rubinstein. La maison incarne une alliance rare : celle de l’ultra-luxe et de l’innovation scientifique de pointe.
Sans pouvoir entrer dans les détails puisque les campagnes ne sont pas encore révélées, l’enjeu était de représenter un univers technologique sophistiqué comme la formulation, biotechnologie, textures actives tout en respectant les codes esthétiques du luxe. Cela s’est traduit par un travail extrêmement précis sur la lumière, le rendu des packs et le traitement des peaux, avec une attention poussée à l’extrême : dans le luxe, rien n’est laissé au hasard. Le pli d’une texture, le reflet sur un capot, la brillance d’un flacon… chaque élément est pensé pour renforcer l’histoire de la marque.
Ce projet est marquant car il illustre parfaitement ce que j’aime dans mon métier : travailler à la frontière entre rigueur scientifique et exigence esthétique, pour créer des campagnes à la fois innovantes et intemporelles.
6. Vision & futur
Comment voyez-vous l’évolution des campagnes visuelles dans le secteur luxe / beauté dans les prochaines années (digital, durabilité, immersive, réalité augmentée, etc.) ?
Je pense que les campagnes visuelles dans le secteur du luxe et de la beauté vont continuer à évoluer vers des expériences plus immersives et plus interactives : réalité augmentée, univers digitaux, contenus pensés pour plusieurs canaux simultanément. Mais au-delà de la technologie, ce qui me semble essentiel, c’est la façon dont nous allons travailler avec l’IA.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est devenue un partenaire créatif incontournable. Dans le luxe, elle ne doit pas remplacer la sensibilité humaine, mais au contraire l’amplifier. Elle permet d’explorer de nouvelles esthétiques, de visualiser des concepts très en amont, d’ouvrir des horizons que nous n’aurions pas imaginés seuls.
Je suis convaincue que l’avenir des campagnes luxe/ beauté repose sur cette alliance : l’intuition et l’exigence artistique humaine, enrichies par la puissance technologique de l’IA. Cela ouvre la voie à des images toujours plus précises, innovantes et immersives, tout en restant fidèles à ce qui fait l’essence du luxe : l’émotion et le détail.
7. Compétences essentielles
Parmi toutes vos compétences (composition visuelle, typographie, direction artistique photo / digital, gestion de projet, etc.), laquelle considérez-vous comme incontournable dans vos collaborations avec les marques de prestige ?
Parmi toutes mes compétences, celle que je considère comme essentielle est mon œil visuel et mon attention au détail.
Étant dyslexique, j’ai très tôt trouvé dans l’image mon mode d’expression privilégié. Cela m’a naturellement conduite vers la direction artistique et développé une grande sensibilité à la composition et à la justesse visuelle.
Dans le luxe, cette exigence est indispensable : le rendu d’une peau, la lumière sur un pack, la précision d’une texture… chaque élément doit être parfait. C’est cette rigueur esthétique qui, à mon sens, fait la différence dans mes collaborations avec les marques de prestige.
8. Travail d’équipe & collaboration
Travailler avec des équipes internes (marketing, image de marque, production) et externes (photographes, studios, imprimeurs, artisans) est souvent complexe. Comment gérez-vous ces interactions pour maintenir la cohérence esthétique et la qualité ?
Ce que j’aime particulièrement dans le fait d’être freelance, c’est la possibilité de multiplier les collaborations : avec des équipes internes très différentes d’une maison à l’autre, mais aussi avec des photographes, studios, artisans… Cette diversité est une vraie richesse créative.
Comme freelance, la collaboration est aussi mon seul lien direct avec le projet et le monde du travail. Cela me pousse à établir dès le départ un cadre visuel clair moodboards, références, direction artistique précise et à garder un dialogue constant tout au long du processus.
Mon rôle est d’être le trait d’union entre toutes ces expertises pour garantir la cohérence esthétique et la qualité finale. J’adore cette dynamique, qui me permet d’apporter un regard neuf tout en construisant des visuels exigeants et fidèles à l’ADN des marques.
9. Inspirations & renouvellement
Quelles sont vos sources d’inspiration principales (art, culture, matériaux, numérique, voyages, nature…) et comment faites-vous pour rester innovante dans un univers où l’on peut facilement se répéter ?
Je puise mon inspiration dans l’art, l’architecture, la nature, les matières et aussi dans les nouvelles technologies comme l’IA. Depuis que je suis maman, je redécouvre aussi des détails du quotidien une lumière, une couleur, une texture qui nourrissent mon regard autrement.
C’est en croisant ces influences et en restant à l’écoute de l’ADN de chaque maison que je parviens à me renouveler sans me répéter.
10. Conseil & message aux freelances
Si vous pouviez donner un conseil clé à un.e jeune créatif.ve qui souhaite se lancer comme directeur artistique dans le luxe / beauté, quel serait-il ? Et quel mantra ou citation vous guide dans les moments de doute ?
Le conseil que je donnerais à un jeune créatif qui veut se lancer dans le luxe et la beauté, c’est de cultiver l’exigence du détail. Dans cet univers, rien n’est anodin : une lumière, une texture, un pack… tout doit être pensé avec précision. C’est cette rigueur qui fait la différence et qui construit une signature durable.
Je dirais aussi de ne pas avoir peur d’être freelance : c’est une liberté et une richesse incroyable, qui permet de multiplier les collaborations et de nourrir sa créativité au quotidien.
Et dans les moments de doute, je me rappelle une chose simple : la créativité doit rester un plaisir. C’est cette joie dans le processus, même dans la rigueur du détail, qui rend le travail juste et vivant.